Qui sont les Jeunes des Quartiers Prioritaires de la Politique de la Ville?
Les Quartiers Prioritaires de la Politique de la Ville concentrent quelques- uns des problèmes les plus aigus de la société française. Les QPV regroupent 5,4 millions d’habitants (soit 7,5 % de la population) dont 40 % ont moins de 25 ans (INJEP mars 2021). Ces quartiers sont situés en majorité dans les grands pôles urbains. Les jeunes âgés de 15 à 29 ans vivant dans les QPV sont deux fois plus touchés par le chômage que les jeunes des quartiers environnants, notamment en raison de leur faible niveau de qualification. 22 % de ces jeunes ont un niveau inférieur au CAP ou au BEP. Un grand nombre d’entre eux connaissent des difficultés familiales et sociales, entraînant des parcours scolaires chaotiques et un manque de repères.
Une grande concertation a été faite en 2023 pour définir l’avenir des Quartiers à l’horizon 2030. Les jeunes de moins de 18 ans qui y participèrent représentaient moins de 1% des participants et ceux de 18 à 24 ans rarement plus de 5 à 10%.
Comment peut-on impliquer les jeunes dans l’avenir de leurs quartiers?
La participation des jeunes aux échelons les plus “authentiques” tel que définis par le Professeur Roger Hart pour l’UNICEF – les jeunes conçoivent des projets et la prise de décisions associe les jeunes et les adultes – est une clé de la réussite et une des grandes difficultés auxquelles font face les décideurs et les associations de jeunes des quartiers.
© Roger Hart, 1992
Le manque d’estime de soi est un frein à l’engagement citoyen. Parmi les facteurs qui contribuent aux difficultés scolaires des jeunes des QPV, mentionnés par Sara Mekki et André Tricot dans un article récent, certains relèvent de processus psychologiques liés aux croyances des jeunes à propos d’eux-mêmes et à propos des jugements qu’ils attribuent à autrui.
Une solution à ce déficit d’engagement et à ce manque d’estime de soi passe, comme trop souvent sans doute, par l’école pour deux raisons. D’une part, les collèges des QPV ont des Segpa (sections d’enseignement général et professionnel adapté) s’adressant aux élèves « présentant des difficultés scolaires graves et durables ». Les SEGPA sont donc un lieu privilégié d’intervention. D’autre part, les principaux atouts des QPV aux dires des participants à la consultation citoyenne sont la solidarité et le tissu associatif. L’engagement civique peut être un élément structurant de remédiation pour ces élèves. Les associations de jeunes deviennent des relais pour les mettre en situation de « donner » ou de transmettre des savoirs et des attitudes aux autres élèves du collège. L’Académie de Créteil évoque ainsi l’importance des projets des jeunes de classes Segpa menés dans la communauté élargie du collège, “pour leur permettre d’exercer leurs compétences scolaires mais aussi de s’engager envers autrui ou d’acquérir des savoir-faire sociaux dans leur façon de communiquer.”
Une mobilité sûre pour tous les jeunes
Le programme VIA déployé en France à l’initiative de la Fondation TotalEnergies dans les classes Segpa du Rhône est un de ces projets structurants. Il permet aux jeunes de se former à une mobilité sûre. Les jeunes partagent des expériences sur leur mobilité vers et autour du collège et s’engagent comme acteurs de prévention et agents de sensibilisation pour améliorer la sécurité des déplacements de leurs pairs.
Une mobilité “sûre et durable” est un formidable outil de cohésion sociale et cette notion va au-delà de la “sécurité routière” même si l’insécurité routière représente la première cause de mortalité des jeunes et la première cause d’accidents mortels au travail. Les enjeux d’une mobilité sûre sont cruciaux pour l’obtention d’une mobilité durable et inclusive et sont au coeur du projet Quartiers 2030. Pour Éric Le Breton, “la mobilité devient l’élément qui «verrouille » les difficultés dans des états de non-retour potentiel.” Réfléchir sur ses conditions de mobilité autour de son collège et de son quartier doit donc contribuer à “des quartiers plus sûrs favorisant les solidarités.”
Une étude réalisée à Rio de Janeiro par Juliana Muniz de Jesus Neves sur les violences urbaines montre combien la mobilité est un élément central de la vie quotidienne qui structure les rapports au quartier et à la ville. Mobilité et sécurité s‘avèrent inséparables. “Le sentiment d‘insécurité construit les pratiques de mobilité quotidienne et la peur et la violence ont un fort impact sur les pratiques de mobilité.”
La mobilité a un rôle clef pour l’intégration urbaine et sociale de tout un chacun. Laurent Mucchielli rappelle combien les jeunes pour leur mobilité sont fortement dépendants des transports en commun. Ils ont tendance à se déplacer à des horaires (en soirée) et dans des endroits (zones périphériques) où les problèmes de sécurité personnelle sont plus fréquents. Or la peur dans les transports en commun touche d’abord les plus jeunes : 46,9 % des 15-24 ans selon la huitième enquête portant sur les conditions de vie et de sécurité des habitants de la région Île-de-France. Pour les filles, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes concluait en 2015 que « 100% des utilisatrices de transports en commun ont été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d’agressions sexuelles, conscientes ou non que cela relève de ce phénomène». De manière générale la peur d’être seul dans son quartier le soir touche aussi davantage les plus jeunes : 27,6 % des 15-24 ans selon la même enquête.
Or comme le rappelle Thibault Isambourg, “l’enclavement subi par les habitants des quartiers populaires ne renvoie pas qu’à une simple question de distance, mais bien à un système de contraintes. (…) On sait que l’environnement urbain pénalise la mobilité. L’isolement par les grandes infrastructures qui les quadrillent jouent un rôle, tout comme les rues moins pourvues en aménagements et plus accidentogènes.”
Comment aller plus loin dans les QPV pour construire une mobilité choisie par les jeunes pour les jeunes ?
L’engagement des classes Segpa aux côtés des associations de jeunes des quartiers créerait les conditions d’une participation “authentique” dirigée d’abord vers les jeunes des collèges. Permettre aux jeunes des classes Segpa de prendre la parole et proposer des actions changera la conception d’une mobilité – durable et sûre – en la rendant chaque fois plus proche de leurs préoccupations quotidiennes. Outre l’impact sur leur estime de soi et leur croyance à propos d’eux-mêmes, les actions choisies auraient valeur à la fois d’expérimentation mais aussi de galerie de bonnes pratiques.
Les associations de jeunes qui présenteraient une proposition n’auraient pas à justifier d’une expérience préalable en matière de mobilité. Il leur suffira d’agir au quotidien dans la vie du quartier et de concevoir un projet en lien avec des collèges accueillant des classes Segpa.
La participation directe des jeunes à l’amélioration des conditions de mobilité doit d’abord et avant tout se faire sentir dans les lieux où ils vivent. La ville ou le quartier doit donc être le lieu d’origine et la destination des initiatives et actions proposées.
Le projet doit déboucher sur des actions concrètes de sensibilisation menées par les jeunes pour les jeunes. Débats dans les classes, création de nouveaux outils de prévention, actions de bénévolat, actions de “lobbying” auprès des pouvoirs publics… sont quelques-unes de ces actions.
Analyser – Agir – Communiquer
Ces actions reposent sur un triptyque: analyser – agir – communiquer qui permet de placer les jeunes en position d’initiateurs et catalyseurs de projets.
Une description précise de la situation et du ou des problèmes de mobilité sûre identifiés débouchera sur la mise en œuvre de l’action proposée pouvant servir de référence dans d’autres villes confrontées à des problèmes similaires. Tous les moyens créatifs dont peuvent disposer les jeunes pour transmettre des messages pourront également être utilisés : théâtre, vidéo, podcast, affiche, musique…
Colin Ward auteur de “The Child in the City” (1978) aurait résumé ainsi le projet: «La ville est “apprenante” qu’il s’agisse d’apprendre à travers la ville, d’apprendre à connaître la ville, d’apprendre à utiliser la ville, à contrôler la ville ou à changer la ville. »
L’innovation fondamentale constituée par la participation authentique des jeunes au devenir de leur quartier est bien que l’apprentissage change de sens, les “décideurs” se mettant en situation d’apprendre des jeunes.
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