Apaiser le feu

Le maire de Viry Châtillon après le meurtre du jeune Shemseddine à la sortie de son collège demandait à réapprendre “à vraiment punir, à être fort, à être ferme aussi”: « il faut apprendre aux enfants quand ils sont jeunes qu’il y a le bien et le mal. Et quand on fait le mal, on est puni. » Les femmes et hommes politiques lui firent écho en amplifiant et parfois dénaturant son propos pour proposer de mettre un terme à l’excuse de minorité ou de punir les parents de mineurs délinquants en les privant de leurs droits sociaux. Le Premier ministre appela alors à un retour «de la culture du civisme» et à un sursaut d’autorité en ciblant les quartiers prioritaires et les réseaux d’éducation prioritaires:

« Tous les collégiens seront scolarisés tous les jours de la semaine, entre 8 heures et 18 heures, à commencer par les quartiers prioritaires et les réseaux d’éducation prioritaires. »

Qu’est-ce que cette autorité punitive? Guillaume Prévost écrit dans la revue Études: “L’autorité née des nécessités de l’ordre public ne saurait se confondre avec l’autorité éducative qu’au prix de graves confusions.(…) Comment attendre des jeunes qu’ils acceptent des contraintes dont ils ne perçoivent pas le bénéfice?”

La seule réponse reste: l’éducation!

Le cercle vicieux de la précarité et de l’inégalité scolaire, l’une et l’autre se renforçant mutuellement, vient plaider pour une stratégie différente visant à redonner confiance en soi à la jeunesse des quartiers populaires sans les stigmatiser plus qu’ils ne le sont déjà.

Pour Moussa Camara, fondateur de l’association “les déterminés”, “l’école constitue pour beaucoup des jeunes issus des quartiers populaires le moyen le plus sûr de sortir du contexte de précarité dans lequel ils sont plongés.”

Certes l’école est sursollicitée. La défense des valeurs de la République, la laïcité, la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, le changement climatique, la prévention des addictions ou de l’obésité… tout est question d’éducation, et la seule réponse reste: l’éducation!

Donner du temps au temps

L’injonction du politique laisse penser que rien n’est fait, rien n’existe, tout doit être remis à plat. Le paradoxe voudrait que l’éducation dusse être repensée dans l’urgence alors même que de nombreuses initiatives sont à peine ébauchées. Pourtant avant de s’engager dans la recherche de nouvelles solutions, ne faut-il pas regarder ce qui a été mis en place, analyser ce qui fonctionne, donner du temps au temps.

Depuis 2019 par exemple, l’État labellise des “cités éducatives” dans les quartiers prioritaires de la ville pour fédérer et intensifier les initiatives de tous les acteurs éducatifs – établissements scolaires, autres services de l’État, collectivités, associations, parents – en les dotant de moyens supplémentaires. L’objectif est d’aider les enfants et les jeunes à trouver, dans leur environnement, les clés de l’émancipation.

Faut-il renier cette initiative au profit d’un discours “sécuritaire” de court terme avant de lui avoir donné toutes ses chances ou doit-on poursuivre sur cette voie, apporter les correctifs nécessaires – et en particulier les moyens humains – pour conforter le rôle de l’École et promouvoir la continuité éducative?

cites educatives

Mille et un dispositifs

PET, PTEAC, PRE (Plan de Réussite éducative), cordées de la réussite, dispositifs de lutte contre le décrochage scolaire, CLIS(classe pour l’inclusion scolaire), Ulis “unité localisée pour l’inclusion scolaire”, Segpa, DRI… Derrière ces acronymes et ces initiatives, parfois illisibles pour les acteurs eux-mêmes, il faut aussi voir l’expertise d’enseignants spécialisés dans les dimensions cognitives, affectives, sociales qui conditionne en grande partie l’accès aux connaissances et l’acquisition des compétences des jeunes. Chaque dispositif cherche d’abord à mieux prendre en compte les besoins spécifiques des élèves les plus vulnérables – “à besoin éducatifs particuliers” – dans un parcours individualisé.

Savez vous par exemple que les classes SEGPA accueillent les jeunes de la 6e à la 3e présentant des difficultés scolaires importantes qui n’ont pas pu être résolues par des actions d’aide scolaire et de soutien. Êtes vous au fait des démarches participatives d’aménagement des collèges comme des espaces de convivialité avec des budgets participatifs cherchant à rendre les collégiens acteurs de leur vie d’établissement? Les élèves peuvent ainsi déposer des projets concernant les espaces et locaux intérieurs (hall, foyer, tiers-lieu, etc.) ou les espaces extérieurs (mobilier innovant, espaces verts…) de leur établissement tout en s’initiant au montage de projet.

Faut-il dresser un gigantesque constat d’échec ou au contraire prendre acte d’initiatives (parfois trop?) ambitieuses témoignant de la difficulté des problèmes et de la possibilité d’apporter des solutions?

Il faut d’abord lire les thèses, les évaluations, les rapports consacrés à ces expérimentations et ces dispositifs pour apprécier les difficultés, les promesses et se rendre compte du décalage qui existe entre les bonnes paroles, le “bon sens”, les bons sentiments, le respect de la loi et la réalité sur le terrain que vivent élèves, enseignants, parents.

La colère intérieure

À ceux qui mettent en avant l’irruption du religieux – et d’abord de l’islamisme – comme cause principale de la violence dans les écoles des quartiers prioritaires, Valérie Orange répond dans sa thèse sur la laïcité que “la plus grande partie des difficultés que les enseignants rencontrent au quotidien ne relèvent pas du religieux, mais d’une insuffisante maîtrise de la langue et une mauvaise connaissance des codes sociaux, scolaires ou non, des élèves évoluant dans des contextes socio-économiques souvent difficiles, dont les effets s’importent au sein des établissements.”

Qui sont ces élèves? Avant de les cataloguer tous comme des délinquants en puissance, éloignons nous un moment de l’image de “l’élève idéal”, bien “élevé” et respectueux de tous  et de lui-même, capable de distinguer le bien du mal. L’écrivain Guillaume Touzé qui enseigne en classe Segpa nous en fait le portrait:

“ils ont peur de ne pas y arriver, alors ils préfèrent ne pas essayer, ils ont peur de ne pas être à la hauteur des attentes des adultes, alors ils décident de présenter une image très peu aimable d’eux-mêmes. Les élèves qu’on nous confie, dans leur grande majorité, ont développé une défiance vis-à-vis de l’institution scolaire et plus particulièrement des adultes qui la représentent. Ce sont des jeunes gens intelligents et révoltés et il faut éviter de fournir du carburant à la colère intérieure qui gronde en eux de façon presque ininterrompue.”

Pour une école attractive et rayonnante

Un des moyens d’apaiser le feu est de leur donner des opportunités de s’ouvrir au monde qui les entoure, de faire de l’école une école “attractive et rayonnante sur son environnement” en multipliant avec des partenaires les opportunités d’ouverture et de mobilité sur le monde extérieur.

« L’école doit se positionner vers les quartiers, avoir une politique tournée vers l’extérieur … il faut aller dans les centres sociaux, créer du mouvement. »

L’espace scolaire n’est pourtant pas par nature un espace ouvert et l’extérieur n’est pas sans risque. Toujours selon Guillaume Touzé, “l’extérieur, c’est tout ce qui se passe en dehors de la classe et que nous ne maîtrisons donc pas. L’extérieur commence dans les couloirs, à la récréation, à la demi-pension mais il ne s’arrête pas là ; il faut aussi compter avec le bus, la rue, le quartier, l’environnement familial. Et lorsque l’extérieur fait brusquement reculer un élève avec lequel on commençait à avancer, on a le sentiment d’être très seul car il est impossible de ramer à contre courant face à des forces que nous ne connaissons pas bien.”

Un objectif est bien alors de “faire alliance” et reconnaître les quartiers populaires comme des lieux de solidarité, de réussite, d’innovation et de création et pas seulement comme une source d’influence «néfaste » pour l’école. C’est d’ailleurs un des objectifs des cités éducatives, initiative étrangement absente du discours de ceux-mêmes qui les ont encouragées.

On ne peut sans doute pas en même temps apaiser le feu et jouer aux pyromanes.

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