Sortir de son quartier: la part de rêve!

Se déplacer, se rencontrer, partager…

Autant de mots clés qui invitent les jeunes à prendre la parole et proposer des actions qui interrogent leurs conditions de vie dans les quartiers populaires.

La mobilité des jeunes sous toutes ses formes peut être un formidable outil de cohésion sociale pour les quartiers de la politique de la ville et contribuer à accroître durablement leur réussite scolaire.

 

“Le droit des droits”

Comme l’écrit Eric Le Breton, “les quartiers de la politique de la ville occupent souvent une position difficile dans des agglomérations fragmentées. (…) Ils restent encore faiblement ou mal « raccrochés » à la ville et sont encore monofonctionnels ; pour se former et travailler, il faut en sortir.” Selon lui la mobilité est un élément central de la vie quotidienne qui structure les rapports au quartier et à la ville.  Elle est devenue “le droit des droits” et par défaut “l’élément qui «verrouille » les difficultés dans des états de non-retour potentiel.”

Mais de quelle mobilité parle-t-on?

Laurent Mucchielli étudie ainsi les conditions de l’isolement des quartiers populaires d’abord sous le prisme des transports et de la sécurité. L’enclavement subi par les habitants des quartiers populaires renvoie pourtant plus, selon Thibault Isambourg, à un système de contraintes qu’à une simple question de distance.

Marco Oberti, qui étude les causes des émeutes dans les quartiers populaires en 2023, associe une ségrégation scolaire très importante à l’isolement géographique des familles précaires. Le géographe Mathis Stock propose d’aborder la mobilité tant par les déplacements que par le rapport des individus aux différents lieux qui rythment leur vie.

Si la mobilité des jeunes des quartiers prioritaires est souvent perçue par les professionnel·les comme étant “insuffisante, elle est d’abord entravée par des logiques d’enfermement et marquée par le manque de volonté de « sortir de la cité ».

Sortir de son quartier

Pour Nicolas Oppenchaim, “les pratiques de mobilité des adolescent·es sont très fortement structurées par leur classe sociale, leur quartier de résidence et leur genre. Les pratiques des adolescent·es dépendent fortement de l’incorporation d’habitudes, de représentations du monde dans différentes sphères sociales, en particulier la famille, l’école ou le quartier de résidence” car la peur de se déplacer en dehors du quartier n’a pas toujours la même origine selon les adolescent·es.

«Sortir de son quartier» ne doit pourtant pas être considérée a priori comme quelque chose de nécessairement positif. Pourquoi devrait-on favoriser la mobilité des jeunes des quartiers populaires? Pourquoi s’intéresser à leurs déplacements?

La mobilité hors du quartier selon Nicolas Oppenchaim permet des contacts avec des catégories porteuses d’autres normes sociales que celles en vigueur dans leur quartier et conduirait à des pratiques et des représentations spécifiques qui facilite leur future insertion sociale. La mobilité serait alors le support du passage progressif du monde familier au domaine public urbain.

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La mobilité sous toutes ses formes

“Sortir de son quartier” permet donc “d’explorer des espaces publics inconnus situés en dehors du quartier et d’y être confrontés à des citadin·es, à des comportements, à des architectures et à des équipements urbains dont ils·elles ne sont pas nécessairement familier·es.” Comme le souligne Pascal Mény “la mobilité permet la rencontre à deux niveaux : la rencontre avec soi-même et la rencontre avec l’autre.”

Quand Eric Le Breton qualifie la mobilité de « droit des droits », il évoque non seulement un droit civil, mais aussi social et politique. L’équation est simple: «pour pouvoir exercer un droit à la formation, à l’emploi, au logement, à la santé, la culture, la citoyenneté, encore faut-il pouvoir se déplacer ». Les difficultés de lecture dans le face à face avec les machines du transport, le déchiffrage problématique des plans de ville et de réseaux de transports, l’interdit “culturel” lié pour certains jeunes hommes à l’usage du vélo ou du scooter, les difficultés des jeunes filles qui doivent batailler plus que les garçons pour obtenir le droit de quitter le quartier, d’aller seules « en ville » sont autant de preuves d’une mobilité entravée.

Mais nous devons élargir encore le spectre en reprenant les objectifs du projet éducatif de l’Académie de Créteil: “Favoriser la mobilité implique également d’apprendre aux élèves à aller vers l’autre, à vivre ensemble dans le respect des valeurs de la République. C’est aussi les accompagner vers une responsabilité citoyenne.”

Nous pouvons faire ainsi de la mobilité des jeunes le pilier central d’une expérience qui parcourt toutes leurs sphères de socialisation : la famille, l’école et le quartier.

En interrogeant alors les conditions de mobilité des jeunes des quartiers populaires, on en vient à élaborer des réflexions sur l’avenir de ces quartiers et des jeunes qui les habitent.

Ouvrir des espaces publics de débat dans les collèges

Tout au long de cette série d’articles, nous avons insisté sur la participation des jeunes des quartiers populaires dans la recherche de solutions aux problèmes de toutes sortes qu’ils rencontrent.

Ouvrons de nouveaux espaces publics de débat dans les collèges, entendons les paroles et les demandes portées par les jeunes des QPV pour construire les conditions d’une mobilité inclusive sous toutes ses formes et contribuer de manière innovante à leur réussite scolaire.

Pourtant l’éducation exclut largement les jeunes du processus de prise de décision malgré la connaissance qu’ils ont de leurs propres besoins. Le fait de se sentir reconnu comme interlocuteur légitime dans les dispositifs de participation à l’école participerait pourtant de l’inclusion des jeunes et de leur processus d’apprentissage. Comment renforcer ces dispositifs de participation (étudiés dans un précédent article)?

La mise en place de projets éducatifs de territoire, selon le rapport Bacqué-Mechmache, redonnerait un rôle central aux parents et aux élèves dans les établissements scolaires, permettrait la mobilisation et la collaboration des enseignants et du monde associatif, ouvrirait les collèges sur les quartiers en faisant ainsi de la réussite scolaire un enjeu social et démocratique fondamental. C’est aussi l’ambition des “cités éducatives”.

Ces projets éducatifs de territoire doivent selon nous :

- Permettre aux jeunes d’agir directement sur l’environnement dans lequel ils vivent.

- Reconnaître leur capacité à mener une stratégie de changement dans leur communauté et leur société.

- Reposer sur des stratégies d’innovation pédagogique

Les représentations de l’avenir

Pour Leïla Frouillou, sociologue et membre du collectif Pop-Part, “la notion d’avenir permet d’interroger les parcours des jeunes de quartiers populaires à partir des possibles qu’ils et elles envisagent.”

Sébastien Claeys précise la notion “d’avenir ouvert” en faisant référence à Ivan Illich et la possibilité de remettre en question les certitudes entretenues dans et par le fonctionnement — ou le dysfonctionnement — ordinaire des institutions. “Dans cette perspective, changer de regard sur le monde dans lequel nous vivons, c’est déjà le changer et ouvrir de nouvelles possibilités d’action.”

Les représentations de l’avenir que partageront les jeunes dans un projet éducatif de territoire doivent permettre d’interroger leurs mobilités d’aujourd’hui et de demain sous toutes ses formes: mobilités résidentielles (où souhaite-t-on habiter plus tard ? comment doit être la ville ou le quartier où nous habiterons?), mobilités éducatives (dans quel collège ou lycée étudier? dans quel pays?), mobilités géographiques (accès aux transports en commun, au permis de conduire, au covoiturage, respect des règles de sécurité routière, impact environnemental), mobilités professionnelles (quel(s) métier(s) exercer ? que statut social acquérir?), mobilités familiales (quels rapports entretenir avec sa famille ? quelle famille nucléaire construire soi-même?), mobilités culturelles (à quelle offre culturelle veut-on accéder, pourquoi et où), mobilités citoyennes au travers des engagements associatifs et politiques (quel monde prépare-t-on et avec qui ?).

La planification participative

La planification participative pourrait se situer au coeur de ce projet éducatif.

Il s’agit d’une méthode de planification urbaine qui vise à engager et à impliquer la communauté dans le processus stratégique et de conception d’un projet. L’urbanisme participatif est défini par Jodelle Zetlaoui-Léger comme « une démarche de fabrication ou d’aménagement d’espaces urbains donnant lieu à un partage de pouvoirs (d’expertise ou de décision), voire à des transferts de responsabilités vis-à-vis  d’habitant.es spontanément mobilisé.es ou largement sollicité.es.

Nous commençons à avoir des exemples de transformations urbaines impulsées à partir du vécu des jeunes des quartiers populaires. La démarche de Tryspaces par exemple permet d’interroger la question de la visibilité des jeunes dans les espaces physiques, virtuels et politiques.

Le Réseau des Learning Labs applique la démarche « Édumix » et réunit pendant 3 jours une large communauté d’acteurs (pédagogues, artistes, chercheurs, développeurs, élèves, habitants et professionnels du territoire) comme ce fut le cas au sein du collège Elsa Triolet (REP+) de Vénissieux situé au cœur du quartier NPNRU Minguettes-Clochettes de la Métropole lyonnaise, dans le but d’imaginer, prototyper et créer des dispositifs innovants en matière d’éducation.

Dans le cadre des budgets participatifs des collèges voulus par la Métropole de Lyon, les élèves éco-délégués du collège André Lassagne ont été par exemple invités à donner leur point de vue sur l’aménagement des abords de l’établissement et déposer des projets concernant les espaces et locaux intérieurs (hall, foyer, tiers-lieu, etc.) ou les espaces extérieurs (mobilier innovant, espaces verts…).

Ces projets permettent par exemple de réinterroger l’aménagement des abords des établissements en étudiant les modes de déplacement utilisés par les jeunes, les familles et les personnels pour se rendre au collège et de cartographier les usages de l’espace avec les jeunes pour identifier les difficultés d’appropriation et réfléchir avec eux à des solutions.

On mesure toujours l’écart qui sépare “donner son point de vue” du plein exercice d’un pouvoir de décision. Ce sont toutefois autant d’expériences auxquelles s’adosser pour mobiliser les compétences des élèves, transformer leurs idées en projets de vie et développer la responsabilité collective des élèves et des adultes.

Le projet Y-Plan

Dans cette optique, le projet de planification participative Y-Plan déployé par le UC Berkeley’s Center for Cities + Schools (CC+S) nous semble particulièrement exemplaire. Il vise à engager les élèves des lycées (K12) et leurs enseignants (préalablement formés) dans un projet d’aménagement urbain. Les jeunes avec l’aide de “tuteurs” universitaires suivent une feuille de route structurée en 5 étapes pour proposer par exemple de nouvelles infrastructures “vertes”, apporter de nouvelles solutions au problème de logement des étudiants, améliorer la sécurité des piétons, aménager un corridor urbain à des fins d’inclusion sociale, renforcer le maillage de transports pour mieux désservir les quartiers, améliorer la santé des étudiants…

Cette démarche repose sur une pédagogie de projets (voir mon article précédent) qui casse les silos qui séparent généralement les mondes de l’urbanisme, de l’école et de l’enseignement supérieur pour créer une communauté de pratique interdisciplinaire et intergénérationnelle.

Elle met autour de la table l’ensemble des décideurs et des parties prenantes mais reste pourtant limitée dans le temps (de 4 à 8 semaines) et ne donne pas aux jeunes un réel pouvoir de décision.

Un projet éducatif pour les QPV

Trois éléments du Y-Plan sont directement transposables aux situations éducatives rencontrées dans les QPV.

-       L’importance du tutorat pour donner confiance aux jeunes en mobilisant comme c’est le cas pour d’autres projets les compétences d’étudiants universitaires auprès des élèves et aux côtés de l’enseignant. En France, par exemple le programme Talens de l’École Normale supérieure associe élèves de lycées et tuteurs normaliens qui les initient aux exigences académiques de l’enseignement supérieur et valident des crédits ECTS pour leur engagement.

-       La formation des enseignants qui interviennent à la fois comme animateurs du processus dans l’établissement scolaire et “passeurs” avec les parties prenantes; le projet est structuré de manière très précise avec un ensemble d’outils permettant un déploiement progressif tenant compte de la diversité des élèves.

-       L’implication des décideurs locaux en tant que “clients” porteurs d’une demande précise et attendant des réponses innovantes de la part des jeunes participant au projet. Prendre la parole des jeunes au sérieux est bien plus qu’une posture et constitue l’élément clé d’une démarche participative.

Pour des “tables de collège(s)

Une inspiration complémentaire nous est donnée par les tables de quartier (nées à Montréal pour faire reculer la pauvreté et aujourd’hui expérimentées en France suite au rapport Bacqué-Mechmache).

Ces tables de concertation mettent en relation les différents acteurs d’un quartier pour élaborer des solutions qui œuvrent à l’amélioration des conditions de vie de la population dans une perspective de justice sociale et de prise en main par les citoyens de l’avenir de leur quartier.

Pourquoi ne pas organiser alors sur ce modèle, des “tables de collège(s)” dans les QPV?

La légitimité d’une “table de collège” en paraphrasant les objectifs des tables de quartier reposerait notamment sur :

• sa capacité à mobiliser un grand nombre d’élèves sur les sujets qui les concernent et à animer les actions de manière à ce qu’ils en soient les premiers acteurs et décideurs ;

• sa représentativité des élèves du collège intégrant ainsi les classes Segpa et les classes dites “périphériques”.

• la mobilisation de tous les acteurs du quartier dans leur diversité, sans sélection ni refus ;

• la crédibilité des propositions et actions qu’elle construit : il s’agit à la fois d’être ambitieux et réaliste;

• sa capacité à être force de proposition (et à ne pas s’enfermer dans la contestation) ;

• sa capacité à mobiliser l’ensemble de la communauté éducative;

Une table organise les relations de pouvoir, elle définit les rôles de chacun, les objectifs et principes partagés. La table doit s’appuyer sur des élèves «leaders» qui ont une forte capacité de mobilisation, mais veille à la représentation de tous les élèves du collège (classes Segpa, classes “périphériques”) et à renouveler régulièrement ses porte-paroles et représentants. Son fonctionnement assure donc un partage effectif du pouvoir et non sa monopolisation par un petit groupe. Une démarche participative ne vise pas l’unanimisme. Pour Fung et Wright, les processus délibératifs peuvent être décrits quand les conditions suivantes sont réunies : les participants s’écoutent les uns les autres et produisent des choix collectifs tenant compte des avis des uns et des autres.

La réussite d’une table de collège (ou de collèges au pluriel en mettant en avant une logique inclusive à l’échelle d’un quartier ou d’une ville qui intègrerait différents collèges dans une même table) passe comme le soulignent Thomas Kirszbaum et Clément Lacouette-Fougère par sa capacité à mener des actions de manière autonome, à s’auto-organiser au sein du collège, créer des liens avec la direction et les enseignants, nouer des relations de solidarité et d’action collective dans le quartier.

Comment faire mûrir les propositions qui naissent de ces tables de collège(s)?

Là encore une inspiration québécoise nous permet de concevoir un dispositif d’”incubateur civique” afin de “prototyper et faire mûrir des idées de projets à impact social et environnemental” imaginés par les collégien-es.

La diversité des projets “passés” par cet incubateur constitue un modèle à suivre: Favoriser la transition socio-écologique à l’échelle des quartiers grâce au réseau existant des bibliothèques pour mieux transmettre les savoirs; démocratiser l’usage du vélo dans le quartier pour apporter mobilité et autonomie aux populations défavorisées; développer des jardins pédagogiques publics pour sauvegarder la biodiversité végétale en milieu urbain; briser l’isolement des personnes vivant avec un handicap au sein du collège et en dehors et les visibiliser dans l’espace public; utiliser le cinéma comme vecteur d’apprentissage sur soi, sa santé mentale et ses représentations, favoriser la découverte des identités multiples de la ville en valorisant l’histoire des habitants du quartier…

La mise en place d’un incubateur civique à l’échelle d’un (ou plusieurs) collège doit permettre aux collégien-es de déployer des projets innovants à fort potentiel d’impact sur le quartier et leurs propres vies à l’aide d’apprentissages et d’accompagnements pratiques mobilisant leurs enseignants et des éducateurs choisis au sein d’associations. Une première phase – comprendre – leur donnerait les moyens d’analyser les problèmes auxquels ils font face et en identifier les opportunités d’action. Une seconde phase de design stratégique permettra de concevoir de manière précise des projets, leur impact socio-environnemental en utilisant, notamment, les données issues d’une recherche terrain qui pourra s’inspirer d’une autre innovation canadienne reprise en France: les marches exploratoires. Une troisième étape cherchera à déployer ces projets en définissant pour chacun d’eux les grandes phases de déploiement et en contactant les partenaires potentiels. Une dernière phase de consolidation fera retour sur les jeunes en tant qu’acteurs de projet pour leur permettre de mieux faire face aux obstacles qu’ils rencontreront lors de projets futurs.

La part de rêve

Tous ces projets comporteront (heureusement) une part de rêve qui s’avère essentielle pour les mener à bien.

“Chaque collège est unique. Il a ses enjeux particuliers, sa force, une couleur qui lui appartient. C’est un microcosme complexe grouillant de vie. Un collège est à l’image de son quartier, de ses gens, de leur bonheur, de leurs malheurs, de leurs espoirs.

Chaque collège a aussi son lot d’inégalités sociales à résoudre. Plus de la moitié des jeunes de moins de 18 ans des quartiers QPV vivent sous le seuil de pauvreté.

On rêve tous d’aller dans un collège où les jeunes et les enseignants de tous horizons, classes sociales et origines culturelles cohabitent harmonieusement.

Un collège et un quartier qui nous ressemblent et nous rassemblent.

Un collège et un quartier pour lesquels on a envie de s’engager.”

“L’école ouverte… pour apaiser le feu”

« L’école doit se positionner vers les quartiers, avoir une politique tournée vers l’extérieur …»

Une «école ouverte» ouvrant réellement les élèves au monde qui les entoure ne peut avoir pour objectif de s’assurer que “les jeunes ne traînent pas dans la rue en dehors des cours”. Rendre l’école plus « perméable » au territoire est un objectif éducatif essentiel, en particulier dans les quartiers prioritaires.

Une école perméable au territoire

L’écrivain et enseignant Guillaume Touzé raconte comment une visite au musée réalisée avec sa classe de Segpa a été l’occasion de découvrir des élèves qui en classe étaient jusqu’alors restés plutôt fermés: “Nous sommes partis au musée au tout début du mois d’octobre. Non seulement les élèves se sont très bien conduits dans la rue et ont respecté les consignes de sécurité mais en plus, rapidement, deux groupes se sont formés, à l’avant du rang et à l’arrière, et ils ont commencé à échanger avec nous, à raconter à leurs enseignants des petits riens qui parlaient d’eux.”

Comme le rappelle le collectif Pop-Part, “les jeunes soulignent la place que tient l’école dans leur socialisation, à rebours des discours sur le supposé rejet scolaire des jeunes de quartiers populaires. Lorsque les jeunes dessinent leur quartier, les établissements scolaires sont des points de référence.” La réalité des quartiers populaires apparaît de fait bien plus diverse et dynamique que l’image qui en est transmise, avec ses lieux de solidarité, de réussite, d’innovation et de création, les modèles de réussite issus des quartiers populaires devenant également des sources d’inspiration.

Pour une pédagogie de projets

Régis Cortéséro rappelle que les savoir-faire et compétences nécessaires à une citoyenneté active s’acquièrent dans des expériences concrètes et contextualisées, articulées aux intérêts et préoccupations des jeunes. La pédagogie de projet permet de générer des apprentissages à travers la réalisation de projets collectifs (de classe ou d’établissement permettant de réaliser des productions concrètes socialisables et d’accéder à des savoirs nouveaux. Chaque projet peut aussi mettre en jeu l’idée d’apprentissage coopératif postulant que l’activité collective orientée dans une même direction, vers un objectif partagé par tous, peut profiter à chaque membre du groupe. La pédagogie par projets vient susciter le questionnement, permet aux élèves d’adopter le point de vue de l’autre et de le comprendre « de l’intérieur ». L’élève acteur du projet acquiert de nouvelles compétences sociales, émotionnelles, créatives et préfigure ce citoyen engagé pour le bien-être de son groupe, son quartier, sa ville.

Il semble pourtant que ce mouvement d’ouverture se fasse pour l’Éducation nationale “à l’insu de son plein gré”. Un rapport de l’INJEP acte une « tendance au repli » de l’école due à la culture de l’éducation nationale qui tend à “considérer le territoire comme un espace potentiellement « contre éducatif », une source d’influence « néfaste », dont il faudrait extraire et protéger les enfants.

Le rôle des équipes de direction et d’enseignement semble alors crucial pour aller à contre courant de cette tendance et rendre possible l’ouverture des espaces scolaires et la construction de liens avec les structures associatives environnantes. La situation là encore est paradoxale.

L’ouverture associative

Comme le rappelle le projet éducatif de l’Académie de Créteil, l’engagement civique peut même devenir un élément structurant des trajectoires scolaires et individuelles et les associations constituer des relais pour guider les projets de solidarité. De fait, les collectivités locales et les établissements scolaires indiquent avoir fréquemment développé, et ce depuis longtemps, des partenariats avec les structures de quartier, les associations culturelles, sportives et éducatives, les intervenants municipaux ou encore les associations de prévention. Ces partenariats s’inscrivent particulièrement dans le cadre du contrat de ville, du programme de réussite éducative (PRE), des cordées de la réussite ou encore des dispositifs de lutte contre le décrochage scolaire.

Les associations qui ont obtenu un agrément académique et interviennent dans le cadre des projets d’école ou d’établissement couvrent des champs variés : lutte contre le décrochage, prévention des violences, valeurs de la République, mobilité individuelle ou collective.

Les interventions programmées dans l’Académie de Créteil visent ainsi à prévenir les pratiques addictives numériques en lien avec la protection du sommeil et l’exposition aux images pornographiques, à développer la responsabilité collective des élèves et des adultes pour le maintien de la propreté et le bon usage des espaces sanitaires et des locaux, à la formation aux premiers secours, autour de thématiques ciblées : découverte des métiers, prévention des accidents domestiques… Les élèves scolarisé en Segpa du collège Louis Philippe à Eu, bénéficient pour leur part de 6 séances de d’une heure de soutien autour des compétences psycho-sociales avec le soutien de l’association Aroeven.

Ateliers philosophiques, jardins solidaires, orchestre à l’école… les initiatives associatives visant à développer le sens civique, l’esprit critique ou l’attention des jeunes sont souvent mises à disposition des établissements scolaires. Les démarches innovantes abondent comme autant de projets sans lendemain qu’il faut reconstruire une fois que le financement prévu s’achève.

Mais alors qu’est-ce qui empêche cette dynamique d’ouverture de se pérenniser, en particulier dans les quartiers populaires?

“La participation des jeunes ne marche pas”

Une des clés de cette ouverture tient à la participation effective des jeunes aux actions éducatives et projets culturels, sociaux, humanitaires qui seraient menés au sein des établissements et au dehors. L’objectif recherché en stimulant la participation des jeunes est de pouvoir produire des actions collectives en réponse à des problèmes identifiés par les jeunes. Or cette participation effective pose problème. L’éducation exclut largement les jeunes du processus de prise de décision malgré la connaissance qu’ils ont de leurs propres besoins.

Comme le remarque Patricia Loncle, si les expériences de participation sont largement promues par les acteurs politiques, elles s’adressent très largement à des jeunes organisés et déjà aguerris à la chose publique, des jeunes en réussite sur le plan scolaire, social et/ou professionnel. Chafik Hbila souligne que les jeunes les plus vulnérables de par leur environnement de socialisation et leurs parcours socioéducatifs, soupçonnent à peine l’existence de ces projets.

Une recherche menée sur le manque de participation des jeunes aux conseils citoyens mettait déjà en avant les problèmes éprouvés par ces jeunes: une faible capacité à se projeter dans l’avenir ; une connaissance quasi inexistante des moyens et des formes d’expression permettant d’intervenir dans la vie de la cité ; un sentiment dominant d’illégitimité face aux demandes de participation ; et enfin, des expériences de discrimination répétées qui génèrent résignation et perte de confiance dans les institutions. Ce même sentiment domine au sein des établissements scolaires malgré des dispositifs innovants conçus pour stimuler la participation des jeunes.

Les conseils à la vie collégienne (CVC) et conseils à la vie lycéenne (CVL) n’ont ainsi pas l’air toujours très actifs et sont parfois qualifiés de « coquille vide.» Le manque de participation des jeunes est renforcé souvent par une insuffisante maîtrise de la langue et une mauvaise connaissance des codes sociaux, scolaires ou non.

Les freins mis aux projets

Il faut aussi chercher dans l’asymétrie maître-élèves, dans les contraintes pesant sur les enseignants compte tenu du peu d’heures dont ils disposent pour traiter leur programme des raisons et dans l’effort logistique supplémentaire que demande tout nouveau projet, des explications à la difficulté à créer au sein des établissements scolaires des espaces de projet reposant sur la participation effective des jeunes.

Il faut également prendre en compte qu’une pédagogie de projets mené avec des élèves en situation de décrochage ou à besoin éducatifs particuliers demande des compétences spécifiques de la part des enseignants avec, comme le rappelle Roland Goigoux, un guidage progressif des apprentissages au sein de situations rigoureusement construites dans ce but. Or le manque de formation des enseignants dans les établissements scolaires des QPV s’impose comme une évidence “statistique”. Ce sont dans ces quartiers avec le plus de difficultés scolaires que les enseignants sont les plus jeunes et moins expérimentés (34,4 % des enseignants ont moins de 35 ans alors qu’ils ne représentent que 23,3 % des enseignants au niveau national.)

Le manque d’implication des parents dans la conduite des projets est aussi un frein à l’engagement. Il s’explique en partie par leur perception de la complexité des échanges entre acteurs qui les empêcherait d’y prendre part.

Le tissu associatif investi dans les quartiers populaires est enfin riche de sa diversité et de son inventivité mais aussi “fragilisé depuis plusieurs années par les logiques d’appel d’offre et de mise en concurrence et par les restrictions budgétaires.”

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L’empowerment

L’ouverture doit se consolider dans une perspective d’empowerment qui engage comme le rappelle le rapport Bacqué-Mechache, “une modification des rapports de force entre le groupe lui-même et d’autres groupes avec lequel il entretient une relation asymétrique : enseignants, équipe de direction, police, élus pour les habitants d’une commune etc.”

Cette ouverture exige une transformation de la pédagogie.

Martha Nussbaum soutient que “dans les démocraties pluralistes modernes et dans le contexte d’un marché mondialisé puissant, il est important de développer chez les citoyens la capacité à argumenter”. Elle cite le philosophe et pédagogue indien Rabindranath Tagore qui défend la capacité des enfants à penser par eux-mêmes en défendant leur autonomie et leur esprit critique. Et faisant de « la mise en question socratique » le centre de sa pédagogie.

Rien ne se fera sans des enseignants formés et valorisés. Rodrigue Coutouly, principal du Collège Jacques Prévert à Marseille, souligne l’enjeu essentiel de former les personnels de direction fraichement nommés sur ces territoires. Il s’agit de les conscientiser à ce qu’est l’éducation prioritaire et à ce qu’induit la pauvreté sur les comportements des élèves ou des familles, afin qu’ils ne se contentent pas d’en interpréter les manifestations par le prisme culturel ou religieux.

L’ouverture ne se fait pas d’un seul coup. Elle doit débuter de manière simple au sein même de l’établissement scolaire qui a tendance par inertie à classer et catégoriser en fonction des différences au lieu de rassembler autour de préoccupations communes. Introduire par exemple l’obligation pour les élèves des Segpa de se ranger avec les autres collégiens et d’avoir des cours dans un bâtiment commun, constitue un premier pas vers l’acquisition d’un statut de collégien bénéficiant d’enseignement adapté et l’abandon de l’étiquetage «Segpa».

La reconnaissance des compétences de tous les apprenants comme «producteurs de connaissances» devient alors une nécessité pour renforcer leur confiance et leur estime de soi quel que soit leur niveau scolaire. C’est que permettent aujourd’hui les badges numériques promus en France par Serge Ravet et l’association “Reconnaître”. Au-delà d’un diplôme, reconnaître les élèves pour leurs productions au sein d’un projet “peut jouer sur leur motivation et leur implication dans la communauté apprenante.”

Pour un modèle de projet éducatif d’ouverture dans les quartiers populaires

On voit alors l’émergence d’un modèle de projet éducatif inclusif à même d’être déployé dans (et à partir des) les établissements scolaires des QPV pour réaliser de manière durable l’ouverture de l’école.

En voici 10 éléments clés;

1- Expérience inclusive d’apprentissage

Un projet éducatif doit encourager tous les élèves à apprendre “à apprendre” et à se développer en tant qu’être humain.

2- Pédagogie participative

Un projet éducatif doit reconnaître la capacité unique de tous les jeunes à s’attaquer aux problèmes essentiels de leur quotidien et à conduire une démarche de changement en apportant des solutions innovantes.

3- Impact durable

Un projet éducatif doit avoir un impact durable dans l’école permettant au personnel enseignant et de direction de s’approprier pleinement le projet, de l’intégrer dans le projet éducatif global et de l’améliorer constamment.

4- Créativité

Un projet éducatif doit renforcer la créativité des élèves, les faire penser différemment, révéler leurs talents et aider chacun d’eux à tirer le meilleur d’eux-mêmes.

5 – Le rôle pivot de l’enseignant

Les projets doivent être conçus du point de vue de l’enseignant plutôt que de l’utiliser comme simple exécutant ou facilitateur de projets qui n’ont été conçus ni avec lui ni pour lui. Les enseignants doivent être formés et directement impliqués dans le suivi et l’évaluation du projet.

6- Activation des connaissances

Un projet éducatif ne concerne pas tant la quantité de connaissances qu’il traite mais les opportunités offertes aux élèves d’activer leurs connaissances dans des situations réelles.

7- Changements de comportement

Un projet pédagogique est un outil de transformation permettant des changements de comportement sur un certain nombre de problématiques. Les élèves, de manière individuelle et collective, doivent être mis en situation d’analyser un problème, concevoir des solutions, agir de manière concrète et évaluer leurs actions.

8. Implication des familles

Un projet éducatif doit être inclusif et prendre en compte plusieurs espaces d’apprentissage, renforçant ainsi la participation de la famille au processus d’apprentissage. La dimension intergénérationnelle des apprentissages est essentielle à la cohésion sociale et familiale.

9. Impact sur l’environnement

Un projet éducatif doit avoir un impact transformateur, multiplicateur et durable sur l’environnement environnant, impliquant les acteurs associatifs locaux dans une expérience d’apprentissage partagée.

10. Reconnaissance des compétences

Un projet éducatif doit intégrer un dispositif informel de reconnaissance des compétences des apprenants au moyen de badges numériques.

Apaiser le feu

Le maire de Viry Châtillon après le meurtre du jeune Shemseddine à la sortie de son collège demandait à réapprendre “à vraiment punir, à être fort, à être ferme aussi”: « il faut apprendre aux enfants quand ils sont jeunes qu’il y a le bien et le mal. Et quand on fait le mal, on est puni. » Les femmes et hommes politiques lui firent écho en amplifiant et parfois dénaturant son propos pour proposer de mettre un terme à l’excuse de minorité ou de punir les parents de mineurs délinquants en les privant de leurs droits sociaux. Le Premier ministre appela alors à un retour «de la culture du civisme» et à un sursaut d’autorité en ciblant les quartiers prioritaires et les réseaux d’éducation prioritaires:

« Tous les collégiens seront scolarisés tous les jours de la semaine, entre 8 heures et 18 heures, à commencer par les quartiers prioritaires et les réseaux d’éducation prioritaires. »

Qu’est-ce que cette autorité punitive? Guillaume Prévost écrit dans la revue Études: “L’autorité née des nécessités de l’ordre public ne saurait se confondre avec l’autorité éducative qu’au prix de graves confusions.(…) Comment attendre des jeunes qu’ils acceptent des contraintes dont ils ne perçoivent pas le bénéfice?”

La seule réponse reste: l’éducation!

Le cercle vicieux de la précarité et de l’inégalité scolaire, l’une et l’autre se renforçant mutuellement, vient plaider pour une stratégie différente visant à redonner confiance en soi à la jeunesse des quartiers populaires sans les stigmatiser plus qu’ils ne le sont déjà.

Pour Moussa Camara, fondateur de l’association “les déterminés”, “l’école constitue pour beaucoup des jeunes issus des quartiers populaires le moyen le plus sûr de sortir du contexte de précarité dans lequel ils sont plongés.”

Certes l’école est sursollicitée. La défense des valeurs de la République, la laïcité, la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, le changement climatique, la prévention des addictions ou de l’obésité… tout est question d’éducation, et la seule réponse reste: l’éducation!

Donner du temps au temps

L’injonction du politique laisse penser que rien n’est fait, rien n’existe, tout doit être remis à plat. Le paradoxe voudrait que l’éducation dusse être repensée dans l’urgence alors même que de nombreuses initiatives sont à peine ébauchées. Pourtant avant de s’engager dans la recherche de nouvelles solutions, ne faut-il pas regarder ce qui a été mis en place, analyser ce qui fonctionne, donner du temps au temps.

Depuis 2019 par exemple, l’État labellise des “cités éducatives” dans les quartiers prioritaires de la ville pour fédérer et intensifier les initiatives de tous les acteurs éducatifs – établissements scolaires, autres services de l’État, collectivités, associations, parents – en les dotant de moyens supplémentaires. L’objectif est d’aider les enfants et les jeunes à trouver, dans leur environnement, les clés de l’émancipation.

Faut-il renier cette initiative au profit d’un discours “sécuritaire” de court terme avant de lui avoir donné toutes ses chances ou doit-on poursuivre sur cette voie, apporter les correctifs nécessaires – et en particulier les moyens humains – pour conforter le rôle de l’École et promouvoir la continuité éducative?

cites educatives

Mille et un dispositifs

PET, PTEAC, PRE (Plan de Réussite éducative), cordées de la réussite, dispositifs de lutte contre le décrochage scolaire, CLIS(classe pour l’inclusion scolaire), Ulis “unité localisée pour l’inclusion scolaire”, Segpa, DRI… Derrière ces acronymes et ces initiatives, parfois illisibles pour les acteurs eux-mêmes, il faut aussi voir l’expertise d’enseignants spécialisés dans les dimensions cognitives, affectives, sociales qui conditionne en grande partie l’accès aux connaissances et l’acquisition des compétences des jeunes. Chaque dispositif cherche d’abord à mieux prendre en compte les besoins spécifiques des élèves les plus vulnérables – “à besoin éducatifs particuliers” – dans un parcours individualisé.

Savez vous par exemple que les classes SEGPA accueillent les jeunes de la 6e à la 3e présentant des difficultés scolaires importantes qui n’ont pas pu être résolues par des actions d’aide scolaire et de soutien. Êtes vous au fait des démarches participatives d’aménagement des collèges comme des espaces de convivialité avec des budgets participatifs cherchant à rendre les collégiens acteurs de leur vie d’établissement? Les élèves peuvent ainsi déposer des projets concernant les espaces et locaux intérieurs (hall, foyer, tiers-lieu, etc.) ou les espaces extérieurs (mobilier innovant, espaces verts…) de leur établissement tout en s’initiant au montage de projet.

Faut-il dresser un gigantesque constat d’échec ou au contraire prendre acte d’initiatives (parfois trop?) ambitieuses témoignant de la difficulté des problèmes et de la possibilité d’apporter des solutions?

Il faut d’abord lire les thèses, les évaluations, les rapports consacrés à ces expérimentations et ces dispositifs pour apprécier les difficultés, les promesses et se rendre compte du décalage qui existe entre les bonnes paroles, le “bon sens”, les bons sentiments, le respect de la loi et la réalité sur le terrain que vivent élèves, enseignants, parents.

La colère intérieure

À ceux qui mettent en avant l’irruption du religieux – et d’abord de l’islamisme – comme cause principale de la violence dans les écoles des quartiers prioritaires, Valérie Orange répond dans sa thèse sur la laïcité que “la plus grande partie des difficultés que les enseignants rencontrent au quotidien ne relèvent pas du religieux, mais d’une insuffisante maîtrise de la langue et une mauvaise connaissance des codes sociaux, scolaires ou non, des élèves évoluant dans des contextes socio-économiques souvent difficiles, dont les effets s’importent au sein des établissements.”

Qui sont ces élèves? Avant de les cataloguer tous comme des délinquants en puissance, éloignons nous un moment de l’image de “l’élève idéal”, bien “élevé” et respectueux de tous  et de lui-même, capable de distinguer le bien du mal. L’écrivain Guillaume Touzé qui enseigne en classe Segpa nous en fait le portrait:

“ils ont peur de ne pas y arriver, alors ils préfèrent ne pas essayer, ils ont peur de ne pas être à la hauteur des attentes des adultes, alors ils décident de présenter une image très peu aimable d’eux-mêmes. Les élèves qu’on nous confie, dans leur grande majorité, ont développé une défiance vis-à-vis de l’institution scolaire et plus particulièrement des adultes qui la représentent. Ce sont des jeunes gens intelligents et révoltés et il faut éviter de fournir du carburant à la colère intérieure qui gronde en eux de façon presque ininterrompue.”

Pour une école attractive et rayonnante

Un des moyens d’apaiser le feu est de leur donner des opportunités de s’ouvrir au monde qui les entoure, de faire de l’école une école “attractive et rayonnante sur son environnement” en multipliant avec des partenaires les opportunités d’ouverture et de mobilité sur le monde extérieur.

« L’école doit se positionner vers les quartiers, avoir une politique tournée vers l’extérieur … il faut aller dans les centres sociaux, créer du mouvement. »

L’espace scolaire n’est pourtant pas par nature un espace ouvert et l’extérieur n’est pas sans risque. Toujours selon Guillaume Touzé, “l’extérieur, c’est tout ce qui se passe en dehors de la classe et que nous ne maîtrisons donc pas. L’extérieur commence dans les couloirs, à la récréation, à la demi-pension mais il ne s’arrête pas là ; il faut aussi compter avec le bus, la rue, le quartier, l’environnement familial. Et lorsque l’extérieur fait brusquement reculer un élève avec lequel on commençait à avancer, on a le sentiment d’être très seul car il est impossible de ramer à contre courant face à des forces que nous ne connaissons pas bien.”

Un objectif est bien alors de “faire alliance” et reconnaître les quartiers populaires comme des lieux de solidarité, de réussite, d’innovation et de création et pas seulement comme une source d’influence «néfaste » pour l’école. C’est d’ailleurs un des objectifs des cités éducatives, initiative étrangement absente du discours de ceux-mêmes qui les ont encouragées.

On ne peut sans doute pas en même temps apaiser le feu et jouer aux pyromanes.

Le poids des mots, le choc des savoirs

La montée des agressions, insultes, violences dont sont victimes les enseignants et les élèves dans les lycées et collèges, la démission d’un Proviseur visé par des menaces à Paris, les morts d’adolescents à la sortie de leurs collèges des mains d’autres adolescents…

Autant de faits médiatisés qui entrent en collision et mettent sur la sellette les jeunes des “quartiers”, leurs comportements et leurs savoirs. Peut-on continuer à enseigner, apprendre, vivre dans les lycées et collèges des “quartiers” ? La question semble pourtant hors de propos tant l’éducation est prioritaire pour combattre la violence et les discriminations de toutes sortes et donner sa chance à tous. Éduquer oui mais comment?

Une école assiégée de l’extérieur?

Les attaques contre l’école, ses enseignants et ses élèves, la remise en cause de la laïcité inscrite dans la constitution – qui protège la liberté de conscience des élèves et ne permet pas aux élèves d’invoquer une conviction religieuse ou politique pour refuser de suivre un enseignement – renvoient l’image d’une “école assiégée de l’extérieur et menacée de repli sur soi”, à l’opposé des valeurs éducatives d’ouverture qu’elle défend.

Chaque agression, chaque attaque, chaque insulte sont interprétées comme des preuves de l’incapacité de nos écoles à éduquer les jeunes français. Ce manque d’éducation se lirait aussi dans les résultats enregistrés dans les tests internationaux qui montreraient que « en un quart de siècle, entre 1995 et 2018, les élèves français ont perdu l’équivalent d’un an en termes de niveau. » Face à ce constat, le Premier ministre prône un « choc des savoirs » pour les élèves, centré sur l’enseignement du français et des mathématiques qui devient « la condition absolue de la réussite et de l’épanouissement de nos enfants.»

Ce “choc des savoirs” et la création de groupes de “besoins” mis en place pour remédier aux difficultés d’apprentissage des jeunes les plus en souffrance scolaire illustrent bien la difficulté d’apporter des réponses immédiates à des problèmes structurels.

Derrière la volonté de proposer une réponse éducative valable pour tous les jeunes, ces mesures visent d’abord les jeunes vivant dans les quartiers prioritaires connaissant des difficultés familiales et sociales, ayant des parcours scolaires chaotiques, souvent issus de l’immigration ou nés à l’étranger pour plus d’un tiers d’entre eux. En voulant répondre au “manque de savoir” par un choc des savoirs et en encourageant dans les classes la création de groupes homogènes d’apprentissage, ne met-on pas en place une école encore plus discriminante, produisant de la mise à l’écart là où l’école veut être synonyme d’intégration.

Les groupes de niveaux

Les groupes de besoin ou de niveaux ne sont pas une idée neuve. Les groupes de niveau avaient été mis en place en France dans plusieurs collèges depuis 1967, avec l’objectif déclaré « de parvenir à l’individualisation de l’enseignement dans un système nécessairement collectif, en vue d’éviter les redoublements et les évictions ». La question de la différenciation et de l’aide à apporter aux élèves en difficulté avait été posée et avait abouti à la création de l’accompagnement personnalisé pour être ensuite abandonné… avant de redevenir d’actualité avec les groupes dits de besoin.

“Pour permettre à tous les élèves de progresser dans des classes et des collèges hétérogènes, une organisation en groupes de niveaux sera mise en place à compter de la rentrée 2024 en mathématiques et en français. (…) Ces groupes de niveaux seront constitués en fonction des besoins identifiés par les professeurs ainsi que par les résultats aux tests de positionnement de début d’année et pourront évoluer en cours d’année pour tenir compte de la progression des élèves.”

Les changements annoncés reposent à la fois sur des expérimentations et des intuitions, la difficulté étant parfois de faire la part entre les deux. Il semble “intuitif” de penser qu’une classe trop hétérogène tire les meilleurs vers le bas et ne permet pas aux plus mauvais de progresser. Les regrouper en groupes de niveaux plus homogènes semble logique comme semble logique la décision de rendre ces groupes flexibles pour prendre en compte les progrès de chacun durant l’année scolaire. Il semble aussi intuitif de penser que les élèves de milieu défavorisé, ou en difficulté scolaire, pourraient bénéficier d’un effet d’aspiration quand ils sont confrontés au quotidien avec des pairs plus favorisés et / ou meilleurs en classe. La question de savoir si la ségrégation au sein des établissements est susceptible d’aggraver les inégalités scolaires ou au contraire de les réduire reste ouverte.

John Hattie, le chercheur en éducation néo-zélandais a constaté dans une recherche synthétisant des analyses portant sur plus de 300 millions d’élèves que l’ampleur de l’effet du regroupement des élèves en fonction de leurs capacités était largement inférieur à l’évolution des savoirs des élèves attendue sur une année. Par contre les élèves d’une classe sujets à des interactions continues avec leur enseignant et leurs pairs (discussions dans la classe, apprentissage collaboratif…) auraient une progression académique deux fois supérieure à ce qui était attendu sur une année.

Sélection et regroupement

Les études PISA – dont les résultats justifient en partie la politique du choc des savoirs – ont également révélé que plus les écoles regroupent en fonction des capacités, plus les performances globales des élèves sont faibles.

L’OCDE dans une revue de la littérature consacrée à la sélection et au regroupement des élèves nous dit que tous les systèmes éducatifs et tous leurs établissements checrhent à prendre en compte la diversité des élèves en fonction de leur aptitude à apprendre et de leurs centres d’intérêt. Les regroupements par aptitudes ou par niveaux visent à créer des environnements d’apprentissage plus homogènes entre différentes classes ou au sein même des classes. Regrouper dans la même classe des élèves possédant un niveau de performance différent et leur enseigner le même programme repose grandement sur la capacité des enseignants à faire participer des élèves dotés d’aptitudes très diverses. Répartir dans différentes classes les élèves très performants et ceux moins performants, et leur proposer soit un programme distinct soit le même programme, mais à divers niveaux de difficulté (« regroupement par aptitudes ») semble bénéficier d’abord aux élèves situés dans les groupes d’un niveau plus élevé. Doit-on considérer que les élèves peu performants peuvent apprendre de leurs pairs plus performants, ou s’en inspirer comme le donnent à penser certaines recherches? Doit-on se limiter au seul domaine cognitif au détriment d’autres compétences? Une recherche récente de la littérature suggère ainsi que les élèves exposés à des pairs plus divers socialement et scolairement tendent à avoir une meilleure expérience de leur scolarité. Il n’existerait au niveau global d’un système éducatif qu’une faible corrélation entre le regroupement par aptitudes au sein des établissements et le pourcentage d’élèves peu/ très performants dans ce système d’éducation. Mais l’apprentissage n’est pas qu’une affaire de systèmes mais bien de cas particuliers et d’individus. Des expériences menées au Kenya par exemple semblent montrer que le fait de séparer dans différentes classes les élèves en fonction de leurs résultats, y compris les élèves peu performants, engendre des bénéfices significatifs sur le plan scolaire.

La valeur ajoutée des enseignants

Le choix à effectuer entre une plus grande homogénéité (à un moment donné) des classes ou une plus grande hétérogénéité est jugé aujourd’hui en France comme stratégique aux dépens d’autres considérations qui le seraient tout autant voire plus au vu des résultats mesurés auprès des élèves.

Les “indicateurs de valeur ajoutée des collèges et lycées” permettent de comprendre l’action propre de chaque collège pour faire réussir les élèves qu’il accueille, en mesurant la différence entre les résultats obtenus et les résultats qui étaient attendus. Un article du Monde publié récemment recueille des témoignages d’enseignants.

“Malgré la précarité qui touche ses élèves, le collège de Villeneuve-Saint-Georges affiche une valeur ajoutée de plus de 10 points sur le taux de réussite au brevet et une valeur ajoutée de 2,3 points sur 20 sur la note aux écrits. « Ce n’est pas parce que les élèves sont en REP+ qu’ils doivent avoir une éducation au rabais » déclare la professeure Myriam Holmes. L’établissement démultiplie les actions, entre ateliers de fluence en lecture, cours en groupes restreints en français ou en mathématiques, intervention de deux professeurs dans le même cours quand c’est possible. Elle met surtout en avant une équipe éducative particulièrement stable.”

Ces stratégies éducatives mises en place dans un collège de “quartier” viennent confirmer les conclusions de John Hattie cité plus haut: ce sont d’abord les enseignants qui ont l’effet le plus important sur l’apprentissage. Les enseignants doivent avoir des attentes élevées envers les personnes apprenantes sans les étiqueter (comme personnes « brillantes », « en difficulté », « TDAH » ou « autistes ») ce qui reviendrait à limiter les attentes. Les enseignant·es doivent être très clairs sur le contenu et les objectifs des apprentissages, travailler ensemble pour améliorer leurs pratiques. Dans ce cadre, la technologie peut permettre de mieux accompagner les élèves dans leurs apprentissages en fournissant aux enseignants les informations leur permettant de personnaliser des parcours d’apprentissage.

La primauté donnée aux enseignants – leur qualification, leur formation, leur rémunération, leur encadrement – est en soi une stratégie éducative. Elle est plébiscitée dans de nombreux pays qui sont engagés dans la revalorisation de la profession d’enseignant depuis des années.

Le rôle et la place des jeunes

Les stratégies proposées quelle qu’elles soient demandent aussi à se poser la question du rôle et de la place des jeunes dans la mise en œuvre des processus d’apprentissage devant conduire à améliorer leurs savoirs, renforcer leurs comportements citoyens. Les jeunes sont-ils avant tout destinataires de ces mesures en tant qu’apprenants ou en sont-ils aussi les acteurs de leur apprentissage?

La mise en place de groupes de besoin (ou de niveaux) ne se fait pas seulement sentir au niveau des enseignants mais aussi au niveau des élèves qui se retrouvent dos au mur, forcés d’accepter une stratégie d’apprentissage alors que le plaisir d’apprendre est un facteur essentiel d’engagement autonome dans les apprentissages et de réussite scolaire.

Le choc des savoirs au lieu d’être une solution ne serait-il pas la confirmation que certains jeunes sont condamnés à échouer de par leurs origines, leurs lieux de résidence, leurs statuts socio-économiques. En d’autres termes, les jeunes des quartiers ne sont-ils pas encore plus condamnés à l’échec scolaire par une réforme visant à les marginaliser dans l’espace et le temps scolaire.

Comment (r)établir le plaisir d’apprendre en particulier pour ceux qui sont aujourd’hui les plus en souffrances: les jeunes des quartiers? Comment établir des processus collaboratifs dans la salle de classe sans créer une marginalisation des “moins-disants”? Alors que dans l’esprit des décideurs, ces stratégies collaboratives ne sont justifiées que si le socle de connaissances est travaillé au préalable, ne peut-on pas bâtir une stratégie d’apprentissage sur la nécessité d’un lien de confiance entre enseignants et élèves? Ce lien de confiance caractérise à lui seul les expériences à succès menées dans les collèges, en lien souvent avec un tissu associatif de quartier jugé par toutes les enquêtes comme un des atouts sinon l’atout principal des quartiers.

Jeunes-de-quartier

La participation des jeunes

Comment demander une plus grande ouverture de l’école sur le quartier alors que l’école se sent chaque fois plus “assiégée”? La priorité donnée à la participation des jeunes dans leur apprentissage exprime en miroir un autre besoin tout aussi déficitaire aujourd’hui : la participation des jeunes dans la vie de la cité.

L’apprentissage participatif repose sur des partenariats rompant à nouveau avec le mythe de l’école assiégée. S’appuyer sur les partenariats, s’appuyer sur la complémentarité  des associations pour développer des expériences formatrices et solidaires, mobiliser les compétences des élèves pour transformer leurs idées en projets… autant de stratégies éducatives qui permettent d’élargir le temps et l’espace d’apprentissage.

Dans un contexte médiatisé d’hyper violence autour des collèges mettant en cause quelques jeunes des quartiers, ne doit-on pas “mieux écouter tous les jeunes de quartier”, comprendre les raisons de leur vulnérabilité, leurs difficultés à se projeter dans l’avenir, à s’exprimer et intervenir dans la vie de la cité et comprendre en quoi les expériences de discrimination répétées ont pu générer résignation et perte de confiance dans les institutions et en premier lieu dans l’école.

La promesse éducative est d’abord celle d’un avenir commun qui démarre en classe et s’intègre à la cité.

La tribune lancée par les auteurs de la recherche participative “Jeunes de quartier” le résume ainsi:

“Nous, jeunes de quartiers populaires, vivons au quotidien l’expérience de la discrimination, le sentiment de ne jamais avoir une place, d’être tout simplement illégitimes dans cette société. Dans les médias, à l’école, au travail, dans les rapports aux institutions et notamment à la police, nous sommes trop souvent stigmatisés. Il est alors bien difficile de se projeter dans un avenir commun. Ouvrons des espaces publics de débat, entendons les paroles et les demandes portées par les révoltes urbaines et les mouvements sociaux, construisons et imposons ensemble un monde de justice sociale.”

Le poids des mots face au choc des savoirs !

Apprendre à changer la ville

Qui sont les Jeunes des Quartiers Prioritaires de la Politique de la Ville?

Les Quartiers Prioritaires de la Politique de la Ville concentrent quelques- uns des problèmes les plus aigus de la société française. Les QPV regroupent 5,4 millions d’habitants (soit 7,5 % de la population) dont 40 % ont moins de 25 ans (INJEP mars 2021). Ces quartiers sont situés en majorité dans les grands pôles urbains. Les jeunes âgés de 15 à 29 ans vivant dans les QPV sont deux fois plus touchés par le chômage que les jeunes des quartiers environnants, notamment en raison de leur faible niveau de qualification. 22 % de ces jeunes ont un niveau inférieur au CAP ou au BEP. Un grand nombre d’entre eux connaissent des difficultés familiales et sociales, entraînant des parcours scolaires chaotiques et un manque de repères.

Une grande concertation a été faite en 2023 pour définir l’avenir des Quartiers à l’horizon 2030.  Les jeunes de moins de 18 ans qui y participèrent représentaient moins de 1% des participants et ceux de 18 à 24 ans rarement plus de 5 à 10%.

Comment peut-on impliquer les jeunes dans l’avenir de leurs quartiers?

La participation des jeunes aux échelons les plus “authentiques” tel que définis par le Professeur Roger Hart pour l’UNICEF – les jeunes conçoivent des projets et la prise de décisions associe les jeunes et les adultes – est une clé de la réussite et une des grandes difficultés auxquelles font face les décideurs et les associations de jeunes des quartiers.

 L'échelle de participation des jeunes

© Roger Hart, 1992

Le manque d’estime de soi est un frein à l’engagement citoyen. Parmi les facteurs qui contribuent aux difficultés scolaires des jeunes des QPV, mentionnés par Sara Mekki et André Tricot dans un article récent, certains relèvent de processus psychologiques liés aux croyances des jeunes à propos d’eux-mêmes et à propos des jugements qu’ils attribuent à autrui.

Une solution à ce déficit d’engagement et à ce manque d’estime de soi passe, comme trop souvent sans doute, par l’école pour deux raisons. D’une part, les collèges des QPV ont des Segpa (sections d’enseignement général et professionnel adapté) s’adressant aux élèves « présentant des difficultés scolaires graves et durables ». Les SEGPA sont donc un lieu privilégié d’intervention. D’autre part, les principaux atouts des QPV aux dires des participants à la consultation citoyenne sont la solidarité et le tissu associatif. L’engagement civique peut être un élément structurant de remédiation pour ces élèves. Les associations de jeunes deviennent des relais pour les mettre en situation de « donner » ou de transmettre des savoirs et des attitudes aux autres élèves du collège. L’Académie de Créteil évoque ainsi l’importance des projets des jeunes de classes Segpa menés dans la communauté élargie du collège, “pour leur permettre d’exercer leurs compétences scolaires mais aussi de s’engager envers autrui ou d’acquérir des savoir-faire sociaux dans leur façon de communiquer.”

Une mobilité sûre pour tous les jeunes

Le programme VIA déployé en France à l’initiative de la Fondation TotalEnergies dans les classes Segpa du Rhône est un de ces projets structurants. Il permet aux jeunes de se former à une mobilité sûre. Les jeunes partagent des expériences sur leur mobilité vers et autour du collège et s’engagent comme acteurs de prévention et agents de sensibilisation pour améliorer la sécurité des déplacements de leurs pairs.

Une mobilité “sûre et durable” est un formidable outil de cohésion sociale et cette notion va au-delà de la “sécurité routière” même si l’insécurité routière représente la première cause de mortalité des jeunes et la première cause d’accidents mortels au travail. Les enjeux d’une mobilité sûre sont cruciaux pour l’obtention d’une mobilité durable et inclusive et sont au coeur du projet Quartiers 2030. Pour Éric Le Breton, “la mobilité devient l’élément qui «verrouille » les difficultés dans des états de non-retour potentiel.” Réfléchir sur ses conditions de mobilité autour de son collège et de son quartier doit donc contribuer à “des quartiers plus sûrs favorisant les solidarités.”

Une étude réalisée à Rio de Janeiro par Juliana Muniz de Jesus Neves sur les violences urbaines montre combien la mobilité est un élément central de la vie quotidienne qui structure les rapports au quartier et à la ville. Mobilité et sécurité s‘avèrent inséparables. “Le sentiment d‘insécurité construit les pratiques de mobilité quotidienne et la peur et la violence ont un fort impact sur les pratiques de mobilité.”

La mobilité a un rôle clef pour l’intégration urbaine et sociale de tout un chacun. Laurent Mucchielli rappelle combien les jeunes pour leur mobilité sont fortement dépendants des transports en commun. Ils ont tendance à se déplacer à des horaires (en soirée) et dans des endroits (zones périphériques) où les problèmes de sécurité personnelle sont plus fréquents. Or la peur dans les transports en commun touche d’abord les plus jeunes : 46,9 % des 15-24 ans selon la huitième enquête portant sur les conditions de vie et de sécurité des habitants de la région Île-de-France. Pour les filles, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes concluait en 2015 que « 100% des utilisatrices de transports en commun ont été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d’agressions sexuelles, conscientes ou non que cela relève de ce phénomène». De manière générale la peur d’être seul dans son quartier le soir touche aussi davantage les plus jeunes : 27,6 % des 15-24 ans selon la même enquête.

Or comme le rappelle Thibault Isambourg, “l’enclavement subi par les habitants des quartiers populaires ne renvoie pas qu’à une simple question de distance, mais bien à un système de contraintes. (…) On sait que l’environnement urbain pénalise la mobilité. L’isolement par les grandes infrastructures qui les quadrillent jouent un rôle, tout comme les rues moins pourvues en aménagements et plus accidentogènes.”

Comment aller plus loin dans les QPV pour construire une mobilité choisie par les jeunes pour les jeunes ?

L’engagement des classes Segpa aux côtés des associations de jeunes des quartiers créerait les conditions d’une participation “authentique” dirigée d’abord vers les jeunes des collèges. Permettre aux jeunes des classes Segpa de prendre la parole et proposer des actions changera la conception d’une mobilité – durable et sûre – en la rendant chaque fois plus proche de leurs préoccupations quotidiennes. Outre l’impact sur leur estime de soi et leur croyance à propos d’eux-mêmes, les actions choisies auraient valeur à la fois d’expérimentation mais aussi de galerie de bonnes pratiques.

Les associations de jeunes qui présenteraient une proposition n’auraient pas à justifier d’une expérience préalable en matière de mobilité. Il leur suffira d’agir au quotidien dans la vie du quartier et de concevoir un projet en lien avec des collèges accueillant des classes Segpa.

La participation directe des jeunes à l’amélioration des conditions de mobilité doit d’abord et avant tout se faire sentir dans les lieux où ils vivent. La ville ou le quartier doit donc être le lieu d’origine et la destination des initiatives et actions proposées.

Le projet doit déboucher sur des actions concrètes de sensibilisation menées par les jeunes pour les jeunes. Débats dans les classes, création de nouveaux outils de prévention, actions de bénévolat, actions de “lobbying” auprès des pouvoirs publics… sont quelques-unes de ces actions.

Analyser – Agir – Communiquer

Ces actions reposent sur un triptyque: analyser – agir – communiquer qui permet de placer les jeunes en position d’initiateurs et catalyseurs de projets.

Une description précise de la situation et du ou des problèmes de mobilité sûre identifiés débouchera sur la mise en œuvre de l’action proposée pouvant servir de référence dans d’autres villes confrontées à des problèmes similaires. Tous les moyens créatifs dont peuvent disposer les jeunes pour transmettre des messages pourront également être utilisés : théâtre, vidéo, podcast, affiche, musique…

Colin Ward auteur de “The Child in the City” (1978) aurait résumé ainsi le projet:  «La ville est “apprenante” qu’il s’agisse d’apprendre à travers la ville, d’apprendre à connaître la ville, d’apprendre à utiliser la ville, à contrôler la ville ou à changer la ville. »

L’innovation fondamentale constituée par la participation authentique des jeunes au devenir de leur quartier est bien que l’apprentissage change de sens, les “décideurs” se mettant en situation d’apprendre des jeunes.

High-wire teachers

When we think of a high-wire artist, we see a man walking along a wire 400 meters above the ground. We never think of a daring and unconventional teacher. These high-wire teachers however are not so much concerned by the appearance of their classrooms or how fancy or digital they look. Their main concern is to mobilize all the resources at hand to achieve their goal.  In words of Claude Lévi-Strauss they are “bricoleurs”, and the rules of their game “are always to make do with ‘whatever is at hand”.

Huberman developed his vision [Huberman: the model of the independent artisan in teachers’ professional relations in: J.W. Little & M W. McLaughlin (Eds) Teachers’ Work : individuals, colleagues, and contexts (New York, Teachers College Press) 1993] of a teacher “who is always busy, creating or repairing learning activities of different kinds with a distinctive style or signature”.

Joan Talbert and Milbrey McLaughlin developed his analogy between teaching, artisanship and jazz improvisation in their analysis of the artisan model of teaching. Bricolage in this context is no longer a “second best solution” but is central to creative thinking. In the words of Seymour Papert, “bricolage is a way to learn and solve problems by trying, testing, playing around”.

Teachers are used to “working at a height above the ground” and look like high wire artists walking a tightrope in their attempt to catch their students’ attention. They set up their scaffolds in the classrooms for an academic year, just the time they are given to fix or improve education.

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Scaffolding is not only another word for teaching. It is also a way of teaching, Psychologist and social constructivist, Lev Vygotsky, refers to  scaffolding as  designing activities that support the students as they are led through the “zone of proximal development” (ZPD).  A learner can finalize the acquisition of a given skill through interaction with a teacher or a skilled peer.

What is the role of technology for the high-wire teacher?

We will argue that thehigh-wire teacher stimulates creativity in the classroom in a much more powerful and sustainable way than through the use of technology alone. Our high-wire teacher knows  the importance of teacher-student relationships, confirmed by John Hattie to explain student achievement. Classroom discussion, reciprocal teaching, jigsaw method, feedback intervention are some of the techniques and tools with the highest probability of success while online and digital tools have among the lowest.

Jim Groom, in his evocation of The Glass Bees, reminds us that “teaching and learning are not done by technology, but rather people thinking and working together”.

“Thinking and working together” with the help of technology in the classroom remains a true question of balance for our high-wire teacher walking along a tight rope 400 meters above the ground.

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